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Historicizing Modernism: The Irish Proust, Cultural Crossings from Beckett to McGahern. Edited by Max McGuinness and Michael Cronin.
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Introduction

Nous présentons ici les versions originales françaises de deux chapitres parus en traduction anglaise dans l’ouvrage collectif The Irish Proust : Cultural Crossings from Beckett to McGahern (Bloomsbury Academic, 2026), codirigé par Max McGuinness et Michael Cronin. Ce recueil porte sur les traces de la culture irlandaise dans l’œuvre de Marcel Proust et sur sa réception littéraire et universitaire en Irlande. Un de ses thèmes centraux est l’importance du multilinguisme pour des écrivains comme Samuel Beckett, Brendan Behan et Elizabeth Bowen, à la fois comme source d’inspiration et comme partie intégrante de leur pratique créative.

Compte tenu de ces croisements linguistiques, cela nous fait plaisir d’offrir aux lecteurs francophones la possibilité de consulter gratuitement les chapitres de deux universitaires françaises distinguées, Nathalie Mauriac Dyer et Isabelle Serça.

Dans « Proust, Beckett et cette “abominable edition of the Nouvelle Revue Française” », Mauriac Dyer revient sur le Proust (1931) du jeune Beckett, qui fut écrit pendant son séjour à l’École normale supérieure en tant que lecteur d’anglais. L’analyse se fonde sur les exemplaires annotés de l’édition courante d’À la recherche du temps perdu que possédait Beckett et qu’il jugeait « abominable », ayant peut-être l’intuition que de grands pans du texte ne correspondaient pas tout à fait aux intentions de Proust. Les nombreuses traces de lecture et marginalia aident à élucider une caractéristique essentielle de l’essai de Beckett, où ses traductions et paraphrases comportent de nombreux exemples de réécriture. Selon Mauriac Dyer, ces libertés créatives ont tendance à intensifier la puissance du texte proustien en même temps qu’elles jettent les bases de l’esthétique de Beckett lui-même. Bien que Beckett prenne par la suite ses distances avec l’exemple proustien, Mauriac Dyer porte au jour des traces de l’empreinte proustienne dans les écrits ultérieurs de l’écrivain irlandais, en particulier dans Fin de partie / Endgame (1957). Beckett n’imite pas ce qu’il nomme la logique « timide » de l’accumulation rhétorique proustienne. Or son esthétique continuait à porter les traces d’une logique plus rude, celle de la négation, qui se manifeste par endroits dans la Recherche.

Là où la présence de Proust est voilée dans la fiction et le théâtre de Beckett, son empreinte chez Bowen est d’emblée signalée par l’épigraphe tirée du Temps retrouvé au début de son deuxième roman, The Last September (1929) : « Ils ont les chagrins qu’ont les vierges et les paresseux…. ». Dans « Bowen d’après Proust », Isabelle Serça examine les affinités thématiques, narratives et stylistiques entre la Recherche et les romans écrits par Bowen durant les années 20, 30 et 40. Comme Proust, Bowen met en scène un monde aristocratique en voie de disparition, celui de l’Ascendancy, l’élite anglo-irlandaise. D’après l’analyse de Serça, les deux écrivains s’intéressent également à rendre la non-linéarité du temps vécu, les « blancs » chronologiques que Proust identifie chez Flaubert et le va-et-vient constant de la mémoire. C’est dans le traitement intensément subjectif d’ambiances, de personnages et de paysages que Serça dégage l’affinité la plus frappante entre Bowen et Proust. L’attention subite que les deux romanciers prêtent à des parties du corps, comme les mains ou les cheveux, et la fréquence de comparaisons insolites dans leurs œuvres sont parmi les techniques partagées qui signifient une forte parenté esthétique entre l’auteur de la Recherche et sa lectrice anglo-irlandaise.